lundi 18 août 2008

L'Origine du Toponyme d'Alger

L'Origine du Toponyme d'Alger


Il est beaucoup plus facile de priser un atome qu'un préjugé. A. Einstein. Permettez-moi chers internautes d’apporter quelques brefs éclaircissements sur le toponyme Dzaïr qui continue jusqu’à nos jours de faire couler de l’ancre. Comme les humains, les mots ont toute une histoire. Ce que l'on peut voir d'un mot est le prolongement, l'aboutissement de centaines, voire de milliers d'années d'évolution. Rechercher l'étymologie d'un mot, c'est aussi voyager dans le temps et dans l'espace. Au-delà de son sens, ce qui est fascinant dans un mot, c'est sa considération symbolique et son cachet culturel, son histoire et son passé. La valeur historique et sociale, le contenu sémantique et le sens authentique qu'on ne voit souvent pas, mais sont pourtant riches et passionnants pour toute l’humanité. Comme tout domaine du savoir et de la connaissance, l’étude des noms de lieux, pour être menée correctement, doit faire appel à certains principes et tenir compte de différentes données. Et Pour parvenir à échapper, autant que possible, aux pièges qui peuvent être rencontrés, il est essentiel de se méfier des apparences et de prendre en charge les quatre éléments suivants dans le cadre d’un examen rapide et ce, avant d’aborder la recherche proprement dite : - les formes anciennes des toponymes ; - la langue employée et ses particularités locales ; - les pratiques traditionnelles ; - la réalité des espaces, leur évolution historique, culturelle... sociale et humaine. Etant donné que l’onomastique qui relève de la lexicologie, est une branche de la linguistique qui, en faisant partie intégrante des sciences sociales et humaines, elle ne peut faire l’objet d’une spéculation anti-philologique ou d’un débat tendanciel, voire fanatique qui fait que chacun croit à la supériorité de la langue qu’il pratique. Défendre une langue est une chose, mais essayer coûte que coûte d’apporter des inexactitudes grossières, des faussetés, des fantaisies, d’arabiser les mots de souche amazighe ou même les morts ne peuvent qu’entacher le savoir et le développement. Jusqu’à une date récente, le statut de langue orale de tamazight (absence d’anciens documents écrits dans cette langue) a entravé d’un coté la possibilité de remonter dans l’état diachronique. Alors que les longs siècles de contact avec l’arabe et l’ignorance de l’élite arabisante des mécanismes et règles de tamazight, et sa tendance à expliquer les mots amazighes par la langue qu’elle maîtrise, a compliqué davantage la situation toponymique. Cette élite avait un peu partout et tout le temps parasité, assimilé et intégré, après les avoir fait subir des transformations phonétiques et sémantiques, des mots dans la langue arabe. L’on avait malheureusement oublié que la connaissance des langues qui peuvent fournir les toponymes est d’une grande utilité et d’une objectivité primordiale. Depuis des siècles jusqu’à nos jours, l’élite arabisante, à tort et à travers, continue de tenter d’expliquer la langue amazighe par la langue arabe en oubliant entre autres de se méfier des ressemblances fortuites et accidentelles qui, d’ailleurs, existent entre toutes les langues de l’humanité. C’est une complexité particulière et propre à l’Afrique du nord. Actuellement la science onomastique n’a pas encore fini de révéler la grande partie de son contenu. Poser la vraisemblable hypothèse que ce toponyme provient de Al-Jazaïr, revient à admettre que : 1. La langue arabe a été parlée dans la région algéroise pendant l’apparition de ce toponyme au Moyen Age, chose qui n’est pas vraie. 2. Les populations vivant au moment où ce toponyme a été créé étaient en contact (invasion, arrivée…) avec les arabes, chose qui est bien fausse. Les arabes (Banu Halil, Banu Soleim…) n’étaient arrivés en Afrique du Nord qu’à partir de 1050 de l’ère grégorienne, alors que la fondation d’Alger avait eu lieu pendant la vie de Bologhine Uw Ziri (ibn Ziri), c’est-à-dire aux environs de 973 de l’ère grégorienne. Y a-t-il lieu de dire que pour arriver à consolider toute hypothèse toponymique, il faut que l’analyse obéisse à une démarche philologique, à une objectivité et à des règles canoniques ? Concernant notre sujet, 6 remarques préliminaires et fondamentales sont à émettre là : 1. Dans la pratique, le mot Al-Jazaïr n’est pas en usage, si non il n’est que sporadique. Celui qui est bien évident en usage et très bien connu, c’est Dzaïr (ou tzaïr). 2. D’après les dictionnaires de référence de la langue arabe, le mot Al-Jazaïr ne peut être admis. Du point de vue de la lexicologie, le mot Al-Jazaïr n’obéit pas à la règle de formation du pluriel du mot Jazira (pl. Jouzour), bien entendu. 3. Outre le substratum amazighe, n’importe quel toponyme peut être dans le cas général soupçonné d’origine de l’une des langues ayant parvenues en Afrique du nord (domaine de l'histoire et/ou de la linguistique). 4. Selon le critère de répartition, le toponyme Dzaïr est tellement ancré dans la pratique algérienne la plus profonde que l’hypothèse selon laquelle il est concurrencé par une autre forme populaire est nulle. 5. Historiquement parlant, la toponymie amazighe depuis le lointain pré-libyque est seule à être permanente ; elle est d’un grand poids que les autres langues en question. 6. La langue amazighe (appartenant à la variante sanhagienne) a été employée en masse dans toute la région algéroise où le toponyme est apparu (domaine de l’histoire). Dans cette optique, l’arrivée de l’arabe en Afrique du Nord occasionna de grands changements sur les structures onomastiques. Beaucoup de lieux en particulier ont perdu ou été contraints de voir leurs noms usuels connaître et en recevoir d’autres tout à fait différents et incompréhensibles. D’un autre coté, il est partout connu qu’en raison de l’existence phonétique de chaque langue, l’on ne peut pas prononcer tous les mots d’une langue très étrangère. Pour cela que l’on arrive fréquemment et au gré du hasard à en modifier les prononciations. Le mot Dzaïr est un bon exemple. Les espagnols en suivant les arabisants qui l’ont écrit Al-Jazïr, ont défiguré ce toponyme qui est devenu Argel. Quant aux italiens et les français, ils l’ont transcrit Algieri et Algérie. En fait, depuis que l’histoire est histoire, l’on a toujours inventé et déformé des mots appartenant à des langues étrangères. Par impuissance de prononciation, par déformation, l’on a bien orthographié Jugurtha au lieu de Yugerten, Massinissa au lieu Massinsen, Kahina au lieu de Damia, Meghraoua au lieu de Imgharen, Tiaret au lieu de Tihert… et la liste est très longue. L’histoire nous enseigne que la fondation d’Alger est l’œuvre des At Ziri. Bologhine fils de Ziri originaire des At Imazighen, après avoir acheté de la confédération At Imazighen appartenant à la lignée des Sanhadja (le nom de cette confédération de tribus s’est arabisé pour être connu actuellement sous forme de Mezghenna), qui occupait l’actuelle région algéroise, une étendue spatiale (les environs de la casbah ?), construisit sur les ruines de l’antique Icausium la ville d’Alger. Les At Ziri (Zirides) connaissent pendant leur règne 8 princes. Ils sont les descendants de leur ancêtre Ziri Uw (= Ugw, Ag, Ig…) Mennad (fils de Menad), donc ce sont des At Ziri. Ziri Ugw Mennad, qui fût gouverneur sous l’autorité Abbasside, est le père de Bologhine, fondateur de la dynastie ziride, ce qui veut dire que les princes zirides sont des At Ziri. C’est là qu’il faut aller chercher une sérieuse piste étymologique pour le toponyme Dzaïr. L’on connaît bien que la base toponymique At fournit un très grand nombre de toponymes. Cette base s’interprète par « fils, descendants, gens, ceux… ». Le nom Ziri dont le féminin est taziri (ou, une autre forme amazighe, tiziri), est d’une très ancienne existence en Afrique du nord. Là deux constations peuvent être émises : • La forme At Ziri d’origine amazighe s’est érodée jusqu’à devenir Dzaïr. • La forme toponymique At Ziri d’origine anthroponymique n’est plus directement discernable dans la forme actuelle Dzaïr (ou tzaïr). Par conséquent, le sens d’origine (de descendants de Ziri) n’est plus compréhensible à travers la forme altérée Dzaïr. Au lieu de At Ziri, les sources écrites en arabe nous ont apporté les formes Beni Ziri et Ezziriyyine. Par ailleurs, on recourt couramment, et ce jusqu’aujourd’hui à la forme d-ziri pour appeler un habitant d’Alger. Dans cette forme attestée, on ne constate qu’une petite différence avec (a)t-ziri, puisque la différence ne demeure qu’au niveau des lettres t et d. Cependant la forme finale ziri est très bien conservée dans dziri. L’itinéraire évolutionnaire à reconstruire est comme suit : At Ziri ----> Tziri (suppression de l’article a) ----> Dziri (transformation de t en d) ----> Tzaïr ----> Dzaïr ----> Al-Jazaïr (bien véhiculé par les sources seulement écrites, il n’existe pas en langue arabe). En guise de conclusion Le toponyme Dzaïr, en usage populaire dans toutes les régions algériennes, voire extra-algériennes, a été transformé dans la dénomination élitaire puis officielle pour être ramené à tort à El-Jazaïr. Le toponyme Al-Jazaïr en étant non attesté dans les dictionnaires arabes de référence, en étant une forme bizarre et étrange par rapport à la langue arabe, ne peut être admis. Il ne peut être rangé qu’au nombre des sornettes. Le seul à admettre authentique et bien fondé, c’est At Ziri. Malgré leur caractère linéaire, les écritures arabe et latine, à cause primordialement de leur incapacité de prononcer beaucoup de mots de la langue amazighe, n’ont pas pu conserver le vrai toponyme d’Alger. Alors que les mécanismes de l’oralité populaire ont bien pu transmettre à nos jours ce toponyme dans un état quasi-authentique (Dziri). La pratique traditionnelle selon laquelle l’on évoque le mot Dzaïr Beni Mezghenna est là pour confirmer un fait historique important. Cette dimension amazighe de la capitale a été occultée par les partisans de la mystification de l’histoire.

Hammou Nat Mzab.
Tanemmirt
inerghi@yahoo.fr

Aucun commentaire: